Devant des signes cliniques de cholécystite aiguë, quelle que soit l’intensité des symptômes, la cholécystectomie doit être prescrite dans les plus brefs délais (72 heures). Tout délai expose le patient à de graves complications, notamment infectieuses, en particulier en cas de comorbidité.
Le 4 mars 2018, un homme de 77 ans est transporté aux urgences du centre hospitalier proche de son domicile par le SMUR, pour des douleurs de l’hypochondre droit apparues dans l’après-midi alors qu’il était en visite chez sa fille.
Ce chef d’entreprise retraité mène une vie très active et revient d’un voyage en Amérique du Sud. Dans ses antécédents : diabète de type 2, cardiopathie ischémique. En 2014, quadruple pontage coronarien.
Traitement habituel : Bisoprolol® 10 mg 1-0-0, Coveram® 10/5 mg 1-0-0 ; Kardegic® 75 mg 0-1-0 ; Metformine® 1000 mg 1-1-1 ; Glicazide® 60 mg 1-0-0 ; Simvastatine 40 mg 0-0-1 ; Pantoprazole 40 mg 0-0-1.
Vu par l’urgentiste à 22 h 56 : "Pas de signes de choc, de douleur thoracique, de signes d'insuffisance cardiaque, ni de phlébite. Aucun signe respiratoire d'appel. Au plan digestif, absence de nausées et de vomissements, abdomen souple, dépressible et indolore. Bruits hydro-aériques présents, orifices herniaires libres. Aucun signe fonctionnel urinaire, pas de contact lombaire".
Biologie : GB 13100/dL ; CRP 10 mg/L ; troponine à contrôler. Radio pulmonaire normale.
Lors de l’expertise, la fille du patient dira que son père a vomi aux urgences. À deux reprises, elle a demandé à l’urgentiste de réaliser une échographie abdominale mais ce dernier a refusé, estimant que ce n’était pas nécessaire. Il a opposé le même refus à une demande analogue du patient.
Patient surveillé en UHCD.
Sortie le lendemain matin sous paracétamol et amoxicilline 3g/j pendant une semaine. Absence de motif pour cette prescription antibiotique.
Le 6 mars, persistance des douleurs abdominales.
Le 7 mars, appel du médecin de garde : "Douleurs épigastriques : appendicite ? vésicule ?". Échoscopie au domicile non contributive (vésicule mal vue). Pas de signes de gravité, pas de signe de Murphy au passage de la sonde, pas de notion de fièvre. Prescription de paracétamol, d’un bilan biologique et demande d’une échographie abdominale.
Le 8 mars 2018 à 8 h : Échographie abdominale en urgence : "Vésicule de grande taille, globuleuse, de 90 mm de hauteur. Le contenu vésiculaire est en rapport avec de la boue biliaire, des lithiases et des micro-lithiases. La paroi vésiculaire est globuleuse et épaissie (6 mm) avec un aspect de double contour. Le cholédoque est de calibre normal et il n'y pas d'aspect de pancréatite. Le foie et les reins sont normaux." Communication des résultats de cet examen au patient, informé de la nécessité de voir en urgence un gastroentérologue.
À 15 h, résultats du bilan biologique : GB : 15.630/dL dont 95% de PNN ; CRP 328 mg/L ; créatininémie 139 mmol/L (DFG calculé à 46 mL/min) ; importantes perturbations du bilan hépatique ; lipasémie normale.
À 16 h, consultation du gastroentérologue : "Douleurs épigastriques violentes dans la nuit du 4 mars, passage aux urgences. Bilan cardio négatif !!! ». Écho abdo du 8/03 : vésicule biliaire de 90 mm de hauteur siège de boue biliaire, de lithiase et de micro-lithiase, à paroi épaissie de 6 mm. Sensibilité épigastrique. CAT Augmentin® 3g/j, bilan ce jour à voir ; puis chirurgie pour cholécystectomie".
Le vendredi 9 mars 2018 à 9 h 18, consultation aux urgences du centre hospitalier pour douleurs abdominales et fièvre.
Lors de l’expertise, la fille du patient rappellera que le gastroentérologue lui avait conseillé de "ne pas retourner au centre hospitalier". Le 9 mars, elle a transmis ce conseil aux pompiers qui ont cependant amené son père au centre hospitalier en raison des "signes de gravité".
Aux urgences, le patient reste stable sur le plan hémodynamique, sans fièvre, sans ictère, avec un examen abdominal montrant une sensibilité de l'hypochondre droit sans signe de Murphy, ni défense ni contracture.
Biologie : GB11200 /dL ; CRP 254 mg/L ; urée 0,14 mg/dL ; avec glycémie élevée. Antibiothérapie probabiliste par ceftriaxone 1 g IV et métronidazole 500 mg IV.
Le 9 mars à 19 h 30, transfert en chirurgie avec accord du chirurgien viscéral, après une échographie abdominale confirmant la présence d'une lithiase vésiculaire sans dilatation des voies biliaires. Antibiothérapie par ceftriaxone 2g/j - métronidazole 1,5 g/j, prévue pour 8 jours, suivie de chirurgie pour cholécystectomie.
Dans la nuit du 9 au samedi 10 mars, transfert en service de réanimation pour défaillance respiratoire avec état de choc.
Patient agité, froideur des extrémités, polypnée avec tirage et désaturation nécessitant une intubation orotrachéale pour ventilation mécanique. Mis en condition avec pose d’un cathéter veineux central et d’un cathéter artériel. Gaz du sang artériel : pH : 6,85; PaCO2 : 26mm Hg, ; PaO2 : 164mm Hg ; HCO3 : 4,3mmol/L ; SaO2: 96.2% ; lactates : 9,4 mmol/L.
Biologie : Na : 133mmol/L ; K : 5.7mmol/L ; Cl : 98 mmolL ; Pr : 52 g/L ; glucose: 19.8 mmol/L ; créatinine : 448 mmol/L : CRP : 167mg/L. Bilirubine totale : 12 mmol/L ; Ph AI/gamma GT : 160/ 261UI/L ; ALAT/ASAT : 80/59 UI/L ; LDH : 316UI/L ; CK : 560 UI/L ; Albumine : 17.8 g/L ; Hb : 11,1 g/dl ; Hte : 34.9 % ; GB: 23.400/ mm3 ; plaquettes : 308000/mm3. TP : 44 % ; TCA : 56.9/31.
Radiographie thoracique : opacités alvéolo-interstitielles de l’ensemble du poumon droit.
Scanner thoraco-abdomino-pelvien non injecté : pneumopathie droite et lame de liquide péri-vésiculaire de 2 mm, cholédoque à 10 mm de diamètre avec lithiase. Conclusion : "Pneumopathie extensive chez un diabétique décompensé, secondaire à une angiocholite".
Traitement : Noradrénaline ; ceftriaxone ; métronidazole.
Le dimanche 11 mars, dossier médical : "Choc septique à point de départ digestif avec pneumonie communautaire sévère et acidocétose diabétique avec IRA anurique."
Le lundi 12 mars, dossier médical : "cholécystite à opérer".
Le 13 mars, Cholécystectomie sous cœlioscopie pour péritonite localisée sur Pyo cholécystite. "Anesthésie générale. Open cœlioscopie en sus-ombilical et introduction directe d'un trocart de 12 mm. Pneumopéritoine jusqu'à 15 mmHg de CO2 de pression. Introduction sous vision directe de 2 trocarts additionnels de 5 mm à chaque hypochondre. L'exploration de la cavité abdominale retrouve un plastron sous-hépatique avec des adhérences entre l'angle colique droit et la face inférieure du foie, ce qui colmate un abcès sous-hépatique. Dissection du triangle de Calot à la pince bipolaire. Section de l‘artère cystique entre des clips métalliques. Décrochement antérograde de la vésicule biliaire au crochet monopolaire."
Cholangiographie peropératoire :
Les suites opératoires seront marquées par une succession de nombreuses complications essentiellement d’origine infectieuse, à point de départ pulmonaire, abdominal, cutanée… avec, secondairement ; neuromyopathie de réanimation.
Malgré les traitements mis en œuvre, décès du patient en juillet 2018.
Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) par les ayants droit du patient pour obtenir réparation des préjudices subis (février 2020).
Pour les deux experts, l’un anesthésiste-réanimateur, praticien hospitalier et l’autre chirurgien digestif exerçant en libéral :
"(...) Le décès a été entraîné par un choc septique secondaire à une péritonite localisée sur pyocholécyste. Cette péritonite a fait suite à une angiocholite sur cholécystite aiguë avec suspicion de gangrène vésiculaire évoluant depuis au moins le 9 mars 2018. Elle a conduit à une cholécystectomie sous cœlioscopie le 13 mars 2018, suivie d'une réanimation émaillée de multiples complications, en particulier infectieuses, et conduisant au décès du patient le 25 juillet 2018 par arrêt cardio-circulatoire d'étiologie indéterminée.
La prise en charge initiale au service d’urgence du centre hospitalier n'a pas été conforme. L’échographie abdominale (au moins avant la sortie) était impérative. Elle aurait possiblement montré une cholécystite à ce stade, mais la prescription antibiotique n'était ni judicieuse ni justifiée.
En revanche, l’intervention du radiologue est exempte de toute critique.
De même, l'intervention du gastroentérologue a été parfaitement conforme. S'il avait eu connaissance des résultats biologiques, un transfert du patient en urgence au centre hospitalier n'aurait d'ailleurs en rien modifié le parcours ultérieur.
Les experts ne peuvent que s'étonner, au vu de toutes les publications spécialisées parues depuis au moins 10 ans sur la nécessité d'opérer aussi vite que possible les cholécystites aiguës, sans attendre un possible "refroidissement de l'infection" (cette règle est rappelée tous les ans dans les divers congrès de chirurgie viscérale), que l'intervention n'ait pas d'emblée été réalisée : ne pas avoir posé l'indication d'une cholécystectomie en urgence ou urgence différée le 9 ou le 10 mars 2018 n'est pas conforme aux règles de l'art.
On peut en particulier se référer aux recommandations de la HAS de janvier 2013 : "En cas de CHOLÉCYSTITE AIGUË, SANS DÉFAILLANCE VISCÉRALE, la cholécystectomie est recommandée le plus précocement possible. Idéalement dans les 72 premières heures de l'évolution. Toute autre prise en charge (délai, contre-indication temporaire, modalités) doit être une décision concertée et tracée".
En résumé : l'aggravation clinique et le risque de choc septique ont été méconnus dans la surveillance du patient.
L'intervention aurait dû être faite sans délai dès le 9 mars, ou au plus tard le 10 mars. En outre, le délai de 3 jours observé entre le début du sepsis grave le 10 mars et l'intervention du 13 mars est une grave non-conformité, qui a contribué de façon très prédominante au décès ultérieur du patient.
Les experts estiment que cette perte de chance ne saurait être inférieure à 70 % et proposent de la fixer plus précisément à 75 %, en tenant compte de l'état antérieur du patient, qui est incontestablement en cause dans les complications multiples observées en réanimation. (…)"
"(…) La Commission considère que d’après le rapport d’expertise, la démarche diagnostique défaillante du 4 mars 2018 et la décision non pertinente de sursoir à la cholécystectomie le 9 mars 2018 sont à l’origine de la majoration de la gravité du choc septique.
La prise en charge tardive de la cholécystite est à l’origine d’une augmentation significative de la mortalité postopératoire.
Suivant les experts, la perte de chance d’éviter le décès est de 75 %. Reprenant cette évaluation, la Commission considère que le centre hospitalier aura la charge d’indemniser 75 % des préjudices subis par le patient. La Commission exclut toute responsabilité du médecin de garde, du radiologue et du gastro-entérologue (…)".
Dans leur rapport, les experts soulignent la fréquence des recommandations insistant sur la précocité de la cholécystectomie en cas de cholécystite aiguë symptomatique et ce, quelle que soit l’intensité des symptômes, notamment celles publiées par la Société Nationale Française de Gastro-Entérologie (SFNGE) et la HAS.
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